U n tsunami de capitaux a déferlé l’an dernier sur des valeurs labellisées respectueuses de l’environnement, créant des exagérations boursières et des calculs inventifs pour justifier ces valorisations dignes de la bulle internet de 2000
Les valeurs «vertes» sont-elles en situation de bulle ? Les valorisations des actions ou des obligations labellisées responsables ont explosé l’an dernier. Un tsunami de capitaux a déferlé sur ces titres, alors que le fonds de relance européen réservera plus de 225 milliards de dollars à des solutions vertes et que l’administration Biden se dirige vers une réglementation sur l’énergie propre dès 2021. Le Japon et la Chine ont annoncé viser zéro émission nette et l’Accord de Paris nécessitera des milliers de milliards d’investissement. Tous les voyants semblent au vert pour les sociétés bénéfiques à l’environnement, ce qui crée immanquablement des exagérations.
«Il peut y avoir une bulle sur certaines parties de ce marché, comme dans les transports électriques et l’hydrogène», note Gabriel Micheli, gérant du fonds Pictet Environmental Opportunities.
«Le secteur de l’hydrogène et une bonne partie du solaire se trouvent probablement en situation de bulle», estime Renaud Saleur, gérant d’un hedge fund genevois spécialisé dans l’énergie. Les afflux de capitaux dans les ETF sont considérables, alors qu’il y a relativement peu de sociétés dans lesquelles investir.»
Valorisé à 1000 fois le chiffre d’affaires
Le patron d’Anaconda Invest, qui a fait ses armes auprès de Fidelity ou de George Soros avant de travailler avec Philippe Jabre à Genève, mentionne le cas emblématique d’ITMPower, une société britannique qui fabrique des électrolyseurs, les appareils permettant de produire de l’hydrogène.
«ITM vaut 3,5 milliards de livres en bourse, ce qui représente 77 fois son actif net ou plus de 1000 fois son chiffre d’affaires 2020, qui avait atteint 3,3 millions de livres», détaille le gérant de quatre fonds dont un long/short dans le renouvelable.
A la fin des années 1990, des entreprises étaient valorisées au nombre de clics. Aujourd’hui, des analystes inventent des ratios comme la valeur d’une entreprise ramenée à son marché adressable
Selon ses derniers chiffres, ITM Power a réalisé une perte opérationnelle de 12 millions de livres au cours du semestre achevé fin octobre. De 80 pence début 2020, l’action ITM a fini l’année dernière à 516 pence et vaut actuellement autour de 600, après un sommet à 682 le 22 janvier dernier.
Les ETF labellisés ESG ont atteint un record à 189 milliards de dollars d’avoirs en 2020, après une croissance de 223%, selon TrackInsight, une plateforme d’analyse spécialisée. Les ETF ESG ont reçu 97 milliards de dollars de flux durant l’année, tandis que près de 200 de ces produits ont été lancés.
Comme pendant la bulle internet
«La première question que nous avons reçue des investisseurs récemment portait sur l’existence ou non d’une bulle verte», indiquent les experts en durabilité de Morgan Stanley.
Lorsqu’un groupe industriel effectue une acquisition dans l’hydrogène, les valorisations sont totalement différentes, note Renaud Saleur. A titre de comparaison, Areva H2Gen, environ 6 millions d’euros de chiffre d’affaires, a été rachetée par GTT en octobre dernier, pour une somme non dévoilée mais proche de 10 millions, selon les estimations de Renaud Saleur.
Les valorisations de certaines sociétés rappellent les niveaux atteints lors de la bulle internet, et les méthodes de calcul également, enchaîne-t-il: «A la fin des années 1990, des entreprises étaient valorisées selon le nombre de clics qu’elles généraient. Aujourd’hui, des analystes justifient les niveaux de valorisation actuels en imaginant des ratios comme la valeur d’une entreprise ramenée à son marché adressable. Dans le cas d’ITM, son marché est estimé à 100 milliards de livres, ce qui confère à l’entreprise un ratio de 3,5%. C’est une fantaisie totale, ne serait-ce que parce qu’un tel calcul implique qu’ITM détiendra 100% de son marché.»
En un an, le multiple des bénéfices futurs (PER) des sociétés «vertes» s’est accru de 24 points, contre 2 pour la moyenne des indices, selon une étude de Morgan Stanley. Mais la hausse n’est pas excessive dans chaque branche.
Solaire en surchauffe
Autre exemple d’exagération boursière, dans le solaire cette fois, un autre secteur qui a vu une envolée des cours l’an dernier. Coté sur le Nasdaq, l’américain Sunrun installe des panneaux solaires sur les toits de maisons individuelles.
«La société présente une marge opérationnelle négative (-25%) et est valorisée à plus de 15 milliards de dollars pour environ 1 milliard de chiffre d’affaires, dans un métier qui ne demande pas une technologie très développée», relève Renaud Saleur. En 2020, l’action Sunrun est passée de 14 à 69 dollars, en triplant de valeur entre juillet et fin décembre.
A l’opposé, notre interlocuteur mentionne le chinois Jinko Solar, qui fabrique des cellules et des modules photovoltaïques, qui vaut 2,9 milliards de dollars en bourse, pour un chiffre d’affaires de 6 milliards environ. La valorisation correspond aussi à 16 fois son résultat net. «Cela correspond à du concret», conclut Renaud Saleur.
Par Sébastien Ruche et Emmanuel Garessus
Journalistes économie et finance
https://www.letemps.ch/auteur/sebastien-ruche
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