La bulle de 2021 sur les valeurs répondant à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance s’est dégonflée à la suite de la
remontée des taux d’intérêt. Leurs projections de résultats semblent moins tenables
La bulle du durable observée en 2021 a-t-elle survécu à la difficile année boursière 2022? Le 22 février 2021, Le Temps publiait un article intitulé «L’euphorie pour le durable tourne à la bulle». Cette tendance était notamment illustrée par ITM Power, un fabricant britannique d’électrolyseurs (appareils qui permettent de produire de l’hydrogène), dont l’action venait de connaître son plus haut historique, à 682 pence, après en avoir valu 80 deux ans auparavant. Le titre vaut aujourd’hui un peu moins de 100 pence, après une chute de 72% sur un an. Symbole des excès de 2021, ITM Power illustre-t-il maintenant le retour sur terre des investissements durables? On fait le point sur l’état de la bulle verte.
Dans le cas précis d’ITM Power, «la société n’a pas tenu ses engagements en matière de chiffre d’affaires et elle n’a pas anticipé la forte hausse de ses charges, qui ont provoqué un creusement de ses pertes opérationnelles», observe Renaud Saleur, d’Anaconda Invest, qui gère notamment un fonds long-short sur la transition énergétique. Selon lui, une bulle s’était gonflée sur les valeurs du renouvelable, car «le secteur a attiré des capitaux considérables, qui sont allés sur des thématiques vertes sans porter attention aux multiples des actions», qui avaient atteint des sommets.
Acheter le futur
Puis la remontée des taux d’intérêt a remis les pendules à l’heure, poursuit le gérant, qui joue notamment la thématique de la transition des compagnies de services pétroliers vers le durable: «Comme avec les valeurs technologiques, les investisseurs dans les valeurs du renouvelable achètent le plan d’une société, ses objectifs. Tant que les taux d’intérêt étaient à zéro, les valeurs actualisées des cash-flows futurs paraissaient plus atteignables qu’avec des taux à 3 ou 4%.»
Ainsi, un indice diversifié représentant le secteur du durable au sens large comme le WilderHill Clean Energy Index a reculé de 46% l’an dernier. Le marché a effectué un tri depuis l’an dernier, enchaîne Gabriel Micheli, gérant du fonds Pictet Environmental Opportunities: «Les titres dits «de croissance» ont corrigé l’an dernier, mais ceux dont la valorisation était le plus basée sur d’hypothétiques rendements futurs ont encore plus corrigé. Auparavant, des sociétés de moins bonne qualité pouvaient afficher des multiples semblables à ceux des entreprises plus solides.»
Estimant ce «retour aux fondamentaux sain», le gérant genevois mentionne l’action Tesla, qui a baissé de quelque 70% en 2022: «Elle reste toujours chère par rapport aux autres constructeurs, mais sa valorisation actuelle est plus compréhensible, à 28 fois les bénéfices 2022 alors que ce ratio avait dépassé 100 par le passé.» Autre exemple cité par le gérant genevois, l’hydrogène, un secteur dans lequel les valorisations ont baissé de 80% en moyenne par rapport à leur point le plus haut en 2021: «Les entreprises concernées ne font pas de bénéfices pour la plupart, mais on ne se trouve plus en situation de surchauffe.» Autrement dit, les investisseurs ne sont plus prêts à payer n’importe quel prix pour du durable.
Encore des doutes?
L’univers ESG a également connu des réussites l’an dernier, conclut Gabriel Micheli, citant le titre d’Enphase Energy, un spécialiste américain du solaire, dont le cours a progressé de 45% en 2022. «Les résultats ont été bons et la société a géré les problèmes d’approvisionnement en semi-conducteurs ou en matériaux et, de manière générale, le secteur du renouvelable bénéficiede perspectives plus visibles grâce à la volonté politique d’aller vers davantage d’électrification aux Etats-Unis, en Asie ou en Europe.» Pas sûr néanmoins que tous les excès aient été purgés, relativise Renaud Saleur, d’Anaconda Invest: «Les valorisations ont été revues à la baisse, mais je ne suis pas certain que les investisseurs aient déjà décidé si les futurs cash-flows prévus par les sociétés du durable étaient tenables ou pas.»
Le Temps (Sébastien Ruche – January 11, 2023)
La fin de l’ESG à n’importe quel prix – Le Temps (website)
La fin de l’ESG à n’importe quel prix – Le Temps (pdf)